La crise du Covid-19 a complètement chamboulé les habitudes de consommation des Français : fini le shopping en mode flânerie, le craquage sur une petite robe ; fini l'achat impulsif de la mini-orchidée stratégiquement placée à côté des caisses d'un certain géant de la maison suédois ; finies les transactions Leboncoin pour un canapé d'occasion en plein milieu du salon d'une autre famille. Place au remplissage du chariot avec farine, couches, bières, parfois en mode livraison à domicile, ou encore au « drive » fermier orchestré par les collectivités locales, comme au Pays basque, où le système a été baptisé « lekukoa » (« d'ici » en langue basque). Bref, recentrage sur le nécessaire et rien que le nécessaire !
Ce choix était certes le résultat de la fermeture pure et simple de certains commerces non essentiels (cafés, magasins d'habillement…) et des mesures barrières en place dans ceux demeurés ouverts, lesquels rendaient épique et interminable le ravitaillement en grande surface. Mais il était aussi motivé par un désir, latent depuis bien avant la crise sanitaire, de retour à une certaine authenticité, avec une consommation responsable, de proximité. Les tendances préexistantes pourraient se renforcer durablement, encore faut-il que les distributeurs et les commerçants arrivent à relever nombre de défis logistiques, et que le climat économique le permette.
Les effets du confinement du printemps 2020 sur les achats des Français : une réduction du circuit d'achat privilégiant les circuits courts, les supérettes et supermarchés de centres-villes avec baisse globale des ventes en hypermarchés selon Nielsen, de la livraison à domicile et du « click and collect », avec une hausse de plus de 25 % du chiffre d'affaires des canaux digitaux sur le premier trimestre 2020. Le phénomène de stockage massif de farine, de sucre et d'oeufs n'augure pas un engouement durable pour la pâtisserie maison. En revanche, le secteur non-alimentaire a accusé une perte de 54 milliards d'euros. Les secteurs de l'automobile, de la restauration et de l'équipement de la maison concentrent 63 % de cette perte, non compensée par la vente en ligne. Mais qu'en sera-t-il du comportement des consommateurs lorsque les contraintes sanitaires seront allégées ? Six scénarios peuvent être esquissés :
1. Un réenchantement après le désenchantement. Lorsque les Français frustrés par le manque d'interactions sociales (à 77 %, selon Harris) regoûteront aux joies des apéros non-Skype, ils retrouveront aussi le plaisir de faire des achats hédonistes.
2. Une rétractation sur les produits de première nécessité et les premiers prix. Ou au contraire, ils se replieront sur le strict nécessaire. En effet, une reprise dépend tant des moyens financiers des consommateurs (31 % des Français ont connu une baisse de revenus, selon Kantar) que de leurs ressources numériques, concernant le parcours d'achat phygital, combinant physique et digital, comme le drive, car étonnamment en 2020, 14,6 % n'ont toujours pas accès à Internet.
3. Une envie de circuits courts et de produits bio. Esquissant un possible « effet cliquet », c'est-à-dire de non-retour en arrière, concernant la valorisation des circuits courts, les professeurs soulignent une aspiration déjà latente à « une consommation plus responsable de produits plus authentiques ». Ils rappellent qu'elle ne se concrétise pas pour autant lorsqu'il s'agit de mettre la main à la poche : le bio, plus cher que le conventionnel, ne représentait que 5 % des ventes de produits alimentaires avant la crise.
4. La progression des canaux digitaux pour l'alimentaire. Les Français pourraient garder l'habitude des modes d'achat en circuits courts et/ou en processus digitaux et « phygitaux » (livraison à domicile, drive) en période post-Covid.
5. L'aspiration au qualitatif. La tendance consistant à vouloir consommer « moins mais mieux », en mode « do it yourself », avec des activités familiales (couture, cuisine…), et en privilégiant le « made in France », pourrait se confirmer.
6. Le développement du « sans contact ». Jouant sur l'expression qui désigne à la fois le paiement sans code de sécurité pour les cartes bancaires, et la notion de distance physique comme geste barrière, les auteurs parient sur le développement des initiatives qui fluidifient les parcours d'achat, dont les achats en ligne et les plateformes de réservation de produits.
De leur côté, les enseignes alimentaires se sont adaptées en orientant leurs services logistiques vers le « click and collect » et la livraison, tandis que les producteurs se sont organisés en circuits courts, accélérant la désintermédiation. Pour autant, ces adaptations ne pourront se pérenniser que si le secteur relève des défis de taille. La logistique du e-commerce peine de longue date à trouver des gains productivité, du fait des coûts élevés de manipulation et de livraison. Obstacle similaire, les coûts de coordination et de logistique pour les producteurs désireux d'intégrer les marketplaces digitales, dont les parcours clients doivent être fluides. Un soutien des collectivités locales pourrait s'avérer précieux pour ces nouveaux canaux.
Enfin, des facteurs ne relevant pas strictement de la consommation finale entrent en jeu. Les auteurs soulèvent que la crise a fragilisé certaines entreprises, notamment les fournisseurs de petite taille ou très spécialisés. Et si le télétravail se développe, les restaurateurs et commerces ciblant les salariés seront en difficultés. Autant d'aléas et d'incertitudes qui freinent les possibles mutations du secteur.
Olivier Badot et Christelle Fournelle sont respectivement directeur scientifique et coordinatrice de la chaire Prospective du Commerce dans la société 4.0 à l'ESCP Business School
August 11, 2020 at 12:00PM
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